On est le 2 mai 1953. Plus de 100 000 spectateurs ont pris place dans le stade de Wembley pour assister à la finale de la Coupe d'Angleterre entre Blackpool et Bolton Wanderers. Des millions d'autres sont restés chez eux mais, pour la première fois de l'histoire, vont pouvoir regarder la finale à la télévision. Le couronnement de la jeune Reine Élisabeth II étant prévu pour le mois suivant, le petit écran a fait son entrée en force dans les foyers britanniques pour que personne ne rate l'événement historique.
La future reine est elle aussi présente à Wembley. C'est d'ailleurs la première fois de sa vie qu'elle assiste à un match de football. À 20 minutes du terme, le score est de 3:1 pour Bolton, qui semble s'acheminer tout droit vers un quatrième sacre en FA Cup. Blackpool, de son côté, n'est plus très loin d'une troisième défaite en six finales.
Sur le côté droit, l'ailier Stanley Matthews, alors âgé de 38 ans, décide de "tenter le coup". En face de lui, l'attaquant Nat Lofthouse, qui avait ouvert le score, observe son adversaire. "Il était là, comme un petit vieux, jusqu'à ce que son corps se mette en mouvement." Matthews accélère sur l'aile, adresse un centre que le gardien de Bolton, Stan Hanson, négocie mal. Le ballon retombe dans les pieds de Stan Mortensen, qui le pousse au fond des filets. Blackpool revient à 3:2 et dans les tribunes, la belle-mère de Matthews s'évanouit devant tant de suspense.
Matthews jouera alors le match de sa vie. C'est lui-même qui le dira plusieurs années après. À une minute du coup de sifflet final, Mortensen égalise. Bolton resserre le marquage sur Matthews, mais rien n'y fait. L'ailier droit de Blackpool se joue de la défense adverse, mais au lieu de marquer lui-même, il passe en retrait à son coéquipier Bill Perry, qui parvient à trouver la lucarne droite. 4:3 pour Blackpool. L'arbitre ne fera même pas donner l'engagement.
Après avoir reçu sa médaille de vainqueur des mains mêmes de la Reine, Matthews fait un clin d'œil à la caméra avant d'être porté en triomphe, le trophée entre les mains, par ses coéquipiers. À son retour à Blackpool, l'accueil est délirant pour les vainqueurs de la Coupe. Au cours du voyage en train qui reconduit l'équipe dans la cité balnéaire, une foule immense ovationne Matthews à chaque arrêt. À tel point que le héros de la finale est obligé de s'enfermer dans les toilettes d'un wagon pour ne pas être étouffé par ses admirateurs. Son coéquipier Mortensen a marqué trois buts en finale mais malgré cela, le match est resté dans les annales comme la Matthews Final.
30 ans de carrière
Évidemment, l'homme ne se résume pas à cette finale. En ce début mai 1953, il n'a fait que confirmer qu'il était bel et bien l'un des plus grands footballeurs de tous les temps et l'exemple même du fair-play. Au cours d'une carrière qui a duré plus de 30 ans, Matthews n'a jamais reçu le moindre avertissement et n'a jamais été exclu, malgré des défis physiques qui dépassaient parfois les bornes de la part de ses adversaires.
Matthews est le seul joueur à avoir été fait chevalier alors qu'il était encore en activité. Il est également le premier à avoir été nommé à la fois Joueur européen de l'année et Footballeur de l'année par la Football Writers' Association. Franz Beckenbauer disait au sujet de l'Anglais que sa vitesse et sa technique le rendaient "presque inarrêtable". Un autre grand du ballon rond, le légendaire Gallois John Charles, qui a fait les beaux jours de la Juventus, affirmait quant à lui qu'il n'avait "jamais vu de meilleurs centres que ceux de Matthews".
Il a passé 19 ans à Stoke City, de 1932 à 1947, puis de 1961 à 1965. Avec les Potters, il a été deux fois champion de deuxième division anglaise, en 1933 et 1963. Entre ses deux mandats à Stoke, il a porté les couleurs de Blackpool pendant 14 ans.
Son dernier match de championnat pour le compte des Potters a lieu contre Fulham le 6 février 1965, quelques jours à peine après avoir fêté son 50ème anniversaire et été fait chevalier par la Reine pour services rendus au football en tant que joueur professionnel. Entre 1937 et 1957, il a été sélectionné 54 fois en équipe d'Angleterre, avec qui il a pris part aux éditions 1950 et 1954 de la Coupe du Monde de la FIFA. Avec les Trois Lions, il a gagné neuf British Home Championships. Il a tiré sa révérence à l'équipe nationale à l'âge de 42 ans, ce qui fait de lui l'Anglais qui a joué jusqu'à l'âge le plus avancé en sélection.
Surnommé The Wizard of Dribble (le sorcier du dribble), Matthews était un modèle également hors des terrains : il s'entraînait dur, ne buvait pas, ne fumait pas, était quasiment végétarien, buvait du jus de carotte tous les jours et jeûnait tous les lundis. Lorsqu'il jouait à Blackpool, on pouvait le voir tous les jours dès sept heures du matin en train de courir sur la plage, avec aux pieds des chaussures plombées. Il disait que cela l'aidait à se sentir plus léger, et donc à courir plus vite, sur les terrains de football.
Idole mondiale
Son jubilé en 1965 a attiré les plus grandes stars du football mondial. Dans son équipe, on trouvait notamment Bobby Charlton. Dans le camp opposé, il y avait rien moins que Lev Yashin, Raymond Kopa, Alfredo Di Stefano, Ferenc Puskas et Eusebio. Mais en réalité, ce jubilé n'en était pas un, car Matthews n'en avait pas fini avec le football. Chaque été entre 1953 et 1978, il s'est rendu en Afrique pour partager son savoir avec des enfants. En 1975 à Soweto, il a bravé les lois de l'apartheid pour former une équipe de jeunes écoliers, les Stan's Men (les hommes de Stan). Ceux-ci lui ont dit que leur rêve était d'aller un jour taper dans le ballon au Brésil. De fait, Matthews organisa une expédition en Amérique du Sud, où la petite troupe de Soweto eut notamment l'occasion de rencontrer le légendaire Zico.
Il a joué son dernier match en 1985, à l'âge de 70 ans. Il s'agissait des Vétérans brésiliens contre les Vétérans anglais. Amarildo, Tostao, et autres Jairzinho ont offert une victoire 6:1 à la vieille Seleção. À cette occasion, Matthews se blesse au cartilage. Avec son humour habituel, il commentera l'événement dans son autobiographie en disant que ce jour-là, "une carrière prometteuse a brutalement pris fin".
The Magician est décédé le 23 février 2000 et ses cendres sont enterrées dans le rond central du stade de Stoke, le Britannia Stadium, qu'il avait lui-même inauguré deux ans et demi auparavant. "Je crois que si un nom symbolise le football anglais, c'est le sien", avait dit un jour Gordon Banks, vainqueur de la Coupe du Monde de la FIFA. L'éloge est de taille, mais il y a peut-être mieux encore en la matière. "C'est lui qui nous a montré la manière dont le football devrait être joué", assure Pelé.
Plus de 100 000 personnes ont accompagné Stanley Matthews vers sa dernière demeure. Sa famille a reçu des lettres de condoléances de la Reine et du Premier ministre Tony Blair. Tout cela l'aurait certainement rendu à la fois fier… et gêné. "Le football m'a bien traité. Un ballon pour taper dedans et une tasse de thé de temps en temps. Je ne demande rien d'autre à la vie", disait Matthews.
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Stanley MATTHEWS