Cinq semaines après nous avoir reçu une première fois à Porto en exclusivité, Yacine Brahimi ouvre son cœur de nouveau aux lecteurs du Buteur et aux téléspectateurs d’El Heddaf TV pour cette interview durant laquelle le prodige algérien n’a éludé aucune question, même les plus pertinentes ou celles qui concernent sa vie privée. Toujours aussi joyeux et sympa, Yacine a fait avec nous le tour de son actualité et parlé de ce nouveau trophée de Meilleur joueur arabe remporté et remis des mains de l’illustre Rabah Madjer, venu le rencontrer pour l’occasion. Un entretien intéressant qu’on vous invite à lire…
Vous venez d’être élu Meilleur joueur arabe au terme d’un sondage réalisé par Le Buteur-El Heddaf auprès de 121 organes de presse du monde arabe. Quel est votre sentiment ?
Que du bonheur ! Je suis très content de recevoir ce nouveau trophée. Je tiens tout d’abord à remercier tous ceux qui ont voté pour moi et m’ont soutenu. C’est un trophée que je partage avec mes coéquipiers, que ce soit du FC Porto ou de la sélection nationale, car sans eux, je n’aurais sans doute pas gagné ce nouveau trophée. Je le dédie à tous les Algériens, à tous les pays africains et arabes. Ce trophée me donnera encore plus de volonté pour aller de l’avant et travailler davantage.
Vous cumulez les trophées individuels en cette fin d’année 2014. Qu’est-ce que ça vous fait de remporter autant de récompenses ?
Il est clair que ça m’apporte beaucoup de bonheur. Cependant, je sais que j’ai encore beaucoup à faire pour progresser et prouver durant chaque match mes qualités. Ça me donne de la force.
Ça ne vous met pas plus de pression ?
Non, pas du tout. Les trophées personnels, ça fait plaisir, mais le plus important, ce sont les trophées collectifs.
Les Algériens étaient surpris de ne pas vous retrouvez parmi les 5 nominés pour le titre du Ballon d’Or africain que décerne la CAF. Vous aussi, vous étiez surpris ?
Non, je ne me prends pas la tête. Il y a cinq joueurs qui ont été élus, sans doute qu’ils le méritent plus autant que moi. De mon côté, j’essaye toujours d’être le plus performant pour mon club et la sélection, pour gagner des matchs et être décisif. Après, les récompenses individuelles, ce n’est que du bonus.
La date de la cérémonie de remise du Ballon d’Or algérien du Buteur-El Heddaf approche. Vous ambitionnez de remporter ce trophée que pas mal de joueurs algériens convoitent ?
Bien sûr que c’est une récompense importante et que ce serait un plaisir de soulever ce Ballon d’Or, mais comme je l’ai dit, mon objectif principal, c’est le collectif. Avec la sélection, le plus important, c’est la Coupe d’Afrique où j’espère qu’on ira le plus loin possible. Pour ce qui est du Ballon d’Or, celui qui gagnera ce trophée l’aura sans doute mérité.
Hier (mercredi, ndlr), vous avez eu à rencontrer l’icône du FC Porto, Rabah Madjer, pour la première fois et aujourd’hui aussi, vous avez discuté avec lui. Qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur ce personnage qui a tant marqué le football algérien aussi ?
C’est quelqu’un qui a marqué l’histoire du FC Porto. A mon arrivée au club, le président m’a dit que pour lui, le meilleur joueur de tous les temps qui est passé par le FC Porto est Madjer. Notre président, ce n’est pas n’importe qui, c’est un grand monsieur, et s’il le dit, c’est qu’il le pense vraiment. Aussi, quand vous partez au musée du club, vous allez comprendre rapidement que Madjer a beaucoup apporté au club et que c’est vraiment une grande personnalité. Après, ce que j’ai beaucoup apprécié, c’est que Madjer a laissé une très belle image de l’Algérie. C’est important et à travers ce qu’il a fait à Porto, c’est tout le pays qui a pris une belle image.
Le FC Porto a atteint son premier objectif, celui de se qualifier pour les huitièmes de finale de la Ligue des champions. C’est déjà un bon acquis pour aborder de la meilleure des manières la suite de la saison ?
Oui, bien sûr. Notre principal objectif était bien évidemment de se qualifier pour ces huitièmes de finale. On a réussi à le faire sans perdre un seul match en phase de poules. On a fini premiers et c’est ce qui est important aussi. Maintenant, on va aborder le match de dimanche face au Benfica dans un excellent état d’esprit et se concentrer pleinement sur ces deux derniers matchs de championnat, avant la trêve.
Vous n’avez pas joué face au Shakhtar Donetsk. Rassurez-nous, c’est juste pour vous ménager, en prévision du match de dimanche ?
Exactement.
Justement, cette rencontre face au Benfica, c’est le big match du Portugal. Vous personnellement, comment allez-vous préparer cette partie (NDLR : Benfica est premier au classement et Porto est deuxième) ?
Je sais que c’est le Clasico du Portugal. C’est le match de l’année ici, que ce soit pour les supporters ou même pour les deux équipes. Après, ce n’est qu’un match à trois points, même si on gagne, on ne va pas en avoir 10. Il va falloir bien se concentrer et, inch’Allah, tout se passera bien. De mon côté, je vais le préparer comme tous les autres matchs, en étant très concentré et je vais essayer d’apporter le plus que mon équipe attend de moi.
Vous avez été souvent décisif dans les grands matchs, que ce soit avec le FC Porto en Ligue des champions, ou même avec la sélection en Coupe du monde. Vous savez très bien que le public du FC Porto va vous attendre lors de ce match capital…
Oui, sans doute, mais vous savez, je ne me mets pas plus de pression que cela. Que ce soit moi ou un autre, l’essentiel est que l’équipe gagne. Je vais essayer bien évidemment de répondre bien présent et d’aider l’équipe.
Hier à l’issue de ce match de Ligue des champions face au Shakhtar, on a eu à discuter avec votre coéquipier, l’attaquant Jackson Martinez. On lui a demandé son avis sur vous et tout de suite, il nous a dit : «Yacine ? C’est un crack.» Venant de sa part, ça fait plaisir, non ?
Oui, bien sûr. Venant d’un très grand buteur comme Jackson, il est clair que je suis flatté. C’est toujours agréable de recevoir des compliments de ce genre. Après, comme je le répete souvent, tous ces louanges que je reçois me donnent encore plus de force pour aller de l’avant et devenir un joueur encore plus complet et fort.
Yacine, le mercato hivernal approche à grands pas, ça sent les rumeurs de transfert. Lors de notre dernière interview, il y a de cela un mois et demi, vous nous disiez que vous vous sentiez bien au FC Porto et que vous n’envisagez pas un départ. Est-ce que depuis, il y a eu un changement d’avis ou bien du nouveau ?
Non, pas du tout, rien n’a changé. Dans ma tête, tout est clair : je suis un joueur du FC Porto et je le serai encore. Maintenant, je ne sais pas ce qui se passera, mais soyez certain qu’aujourd’hui, je suis à 100 % avec Porto et mon objectif, c’est d’apprendre encore et progresser. J’ai encore beaucoup de choses à faire au FC Porto et, nch’Allah, je continuerai comme ça.
Récemment lors d’une conférence de presse d’après-match, l’entraîneur du PSG, Laurent Blanc, a parlé de vous et n’a pas tari d’éloges sur vos qualités. Il a aussi dit que lorsqu’on veut un joueur de votre calibre, il faut payer. Une affirmation qui en dit long et on sait que lorsqu’on plaît à l’entraîneur, c’est déjà bon signe, non ?
Déjà, c’est flatteur de recevoir des éloges de la part d’un grand monsieur comme Laurent Blanc. Après, il n’y a rien de plus. Je ne peux même pas parler de ça, car je ne suis pas plus au courant que vous. Aujourd’hui, je suis pleinement concentré sur mon actuel club.
Vous avez été surpris par ces propos venant de Blanc, le fait qu’il évoque votre nom, sachant que depuis plusieurs semaines maintenant, on parle beaucoup de vous du côté du club de la capitale française ?
Surpris non, mais un peu étonné quand même, car, comme je l’ai dit, il n’y a rien avec le PSG.
On insiste sur le PSG, car Blanc a même affirmé qu’il était déjà venu vous voir lors d’un match de championnat avec Porto. Là, l’intérêt pour vous est réellement concret, vous ne pouvez pas le nier quand-même…
Vous venez de me l’apprendre. Je ne savais rien de cela. Aujourd’hui, je ne peux pas parler ni du PSG ni d’un autre club. Je suis sous contrat avec Porto et je me dois de le respecter.
Les rumeurs disent aussi que le PSG prépare actuellement une offre à faire transmettre à votre direction…
Il faut le demander aux responsables du FC Porto.
Est-ce que vous parlez de tout ça avec votre agent ?
Non. Pour l’instant, je me concentre uniquement sur le terrain. Il y a quelqu’un qui s’occupe de mes affaires et c’est lui qui s’occupe de tout ça.
Passons à présent à l’actualité de l’Equipe nationale. Le stage préparatif pour la CAN débute dans pas longtemps. Déjà, on voudra avoir votre avis sur le groupe dont a hérité l’Algérie pour ce tournoi continental…
Je pense qu’on est tombés dans un groupe pas du tout facile, avec l’une des meilleures équipes d’Afrique qui est le Ghana. Que ce soit en Coupe du monde ou en Coupe d’Afrique, ils répondent toujours présents. Ils vont toujours loin. Le Sénégal et l’Afrique du Sud sont eux aussi de très bonnes équipes. Maintenant à nous de démontrer ce qu’on sait faire, de répondre présents dans ces trois matchs qui, je pense, seront comme trois finales. J’espère que tout se passera bien.
Avez-vous des informations bien précises sur ces trois adversaires, des joueurs que vous connaissez et qui jouent pour l’un de de ces trois équipes ?
J’ai déjà évolué aux côtés de certains joueurs ghanéens comme Gyan Asamoah, John Boye, à Rennes. J’ai aussi côtoyé d’autres contre lesquels j’ai joué en Ligue 1 française. Je sais que ça va être des matchs très difficiles et qu’il faudra impérativement répondre présent et tout faire pour passer, dans un premier temps, ce premier tour.
Certains observateurs de la balle ronde africaine assurent que l’équipe qui pourrait surprendre dans ce groupe, c’est bien le Sénégal. Une équipe jeune et pétrie de talent qu’il faudra prendre très au sérieux. Partagez-vous ce point de vue ?
Oui, tout à fait. Mais moi sincèrement, je ne vais pas prendre une équipe à la légère plus qu’une autre, car même l’Afrique du Sud, quand on voit son parcours lors des éliminatoires de cette CAN, où elle a pu éliminer quand même le Nigeria, détenteur du trophée. C’est fort. Il faudra prendre les trois matchs de la même manière et rester extrêmement concentrés.
La dernière fois, vous nous disiez que l’Algérie sera favorite à la CAN et qu’elle devra faire quelque chose dans ce tournoi. Après ce tirage au sort difficile, maintenez-vous les mêmes propos ?
Ce qui est sûr, c’est qu’il ne faut pas être prétentieux et se dire dès maintenant que l’Algérie va gagner la Coupe d’Afrique. On sait qu’on a fait de très belles choses à la Coupe du monde, qu’on a fait une bonne phase de qualification pour cette CAN et que les gens vont nous attendre. Dans un premier temps, on doit passer le premier tour. Ça va être compliqué, mais c’est sûr qu’on visera le sacre final. Prendre match par match et on verra ce qui se passera.
André Ayew, le joueur ghanéen de l’Olympique de Marseille, a quelque peu minimisé les forces de l’Algérie dans une récente interview qu’il a faite. Il a dit que nous, c’est le Ghana et qu’il faut montrer aux autres adversaires que c’est nous les plus forts, sans nous soucier de personne. Ne trouvez-vous pas que c’est un peu une forme d’arrogance ?
Personnellement, ça ne m’atteint pas. La seule manière de répondre, c’est sur le terrain. Maintenant, le Ghana pour moi, ces cinq dernières années, a été la meilleure équipe du continent, mais vous savez, sur un match tout est possible. De mon côté, je ne dirai rien. Rendez-vous à la CAN et on verra.
Le fait de débuter cette CAN face à l’Afrique du Sud, que certains qualifient de la plus faible équipe du groupe, serait-ce un avantage ou pas du tout ?
Non, pas du tout. Si on avait commencé par le Ghana ou le Sénégal, ça aurait été la même chose. On aurait préparé le match avec la même envie et concentration. On doit chercher à gagner les trois points, et c’est tout.
Sur le plan personnel, ce sera votre première CAN. L’appréhendez-vous ?
Non. J’en ai beaucoup parlé avec mes coéquipiers. J’ai confiance en notre équipe et, inch’Allah, on ira loin.
On va être un peu indiscret. Vous faites quoi de votre temps libre ici à Porto ?
Moi, je suis beaucoup famille. Je reste énormément avec ma petite famille. Parfois, on sort un petit peu, faire les magasins et se faire des restos.
Est-ce qu’on vous harcèle dehors ?
Non, du tout. Les supporters ici sont très gentils et très calmes. Ils ne me sautent pas dessus. Parfois, ils me demandent des autographes et quelques photos, ce qui est normal.
Les supporters algériens vous admirent de plus en plus. N’envisagez-vous pas un jour d’aller au pays pour une journée, afin d’en rencontrer quelques-uns et leur faire plaisir ?
Oui, bien sûr. Déjà chaque année, j’essaye d’organiser, que ce soit dans la ville natale de mon père ou de ma mère, des tournois pour les jeunes là-bas. C’est des choses qui me tiennent vraiment à cœur et vu que je ne suis pas quelqu’un qui s’expose beaucoup, je fais des choses pour moi, dans mon coin, sans pour autant en parler.
Justement votre papa, on sait qu’il est du Sud algérien (El Menia) et votre maman de Kabylie (Azazga). Un mariage quelque peu particulier, puisque cela vous permet d’avoir deux cultures quasiment différentes. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Je ressens une énorme fierté, mais au final, je ne représente qu’un seul pays. C’est vrai que ce sont deux cultures différentes, de Kabylie et du Sud, mais voilà, encore une fois, je suis fier d’avoir ce mélange.
Vous êtes déjà parti en Kabylie ?
Oui, bien sûr, plusieurs fois.
Vous savez parler kabyle donc…
Oui, un petit peu et je comprends bien la langue.
Qu’est-ce que vous pouvez dire à nos lecteurs en kabyle ?
Je passe un grand bonjour à mon village en Kabylie et je leur dis : «Azul felawen.»
On sait aussi que vous êtes très pieux et que la religion est importante pour vous. Vous avez pourtant grandi en France, mais n’empêche que vous tenez beaucoup à vos principes religieux…
Oui, c’est très important, mais après, comme je l’ai toujours dit, c’est du domaine privé. C’est une chose personnelle, c’est la base de ma vie. La religion m’apaise et me permet de relativiser sur certaines choses. Ça me procure aussi beaucoup de forces.
Est-ce que ça vous touche les guerres qui frappent depuis ces dernières années plusieurs pays arabes ? Comment voyez-vous tout çcela et est-ce que vous vous sentez concerné ?
C’est sûr que je ne suis pas insensible à ce qui se passe. C’est triste, mais après, la politique, je ne m’y connais pas trop, donc je suis très mal placé pour en parler. Je suis quelqu’un qui préconise toujours la paix et j’espère que tout rentrera dans l’ordre et que tout s’améliorera.
Sofiane Feghouli, votre coéquipier en sélection, est très investi dans la cause palestinienne. On sait qu’après les Algériens, les Palestiniens sont les premiers supporters de l’Equipe nationale. Qu’avez-vous à leur dire, eux qui souffrent au quotidien ?
Je connais un peu leur situation et je suis bien évidemment l’actualité. C’est vrai que je joue au football, mais avant tout, je suis un être humain et je ne peux pas aussi rester insensible à ce qui se passe là-bas. Ça me touche beaucoup et j’apporte, même si c’est de loin, un grand soutien aux Palestiniens et j’espère de tout cœur que Dieu les aidera.
Hier, on a discuté aussi avec votre coéquipier Aboubakar (international camerounais). Il nous a dit qu’il avait parlé avec vous au sujet d’une éventuelle confrontation en quarts de finale de la CAN entre l’Algérie et le Cameroun et qu’il est certain que ce sont les Lions Indomptables qui vont l’emporter. Vous lui répondez quoi ?
(Rires…) S’il le dit, on verra bien. On se donne rendez-vous en Guinée équatoriale.
Yacine, on vous laisse conclure cette interview…
Un grand bonjour et surtout un grand merci à tous les Algériens pour le soutien qu’ils m’apportent et j’espère qu’on ira très loin à la CAN inch’Allah.
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