Thierry, vous avez tout gagné partout, ou presque, sauf aux États-Unis. Cela doit vous sembler bizarre ?
Thierry Henry : Non. Je n’avais pas gagné à la Juve non plus. C’est vrai que depuis que je suis ici, on n’a rien gagné, à part le Supporter’s Shield (un trophée honorifique célébrant la meilleure équipe de la saison régulière, le champion étant sacré lors de la MLS Cup, NDLR). Toutes les saisons ont pratiquement été les mêmes, il a fallu lutter jusqu’à la fin pour passer en play-offs.
Vous avez déclaré par le passé que, parfois, on oublie de prendre du plaisir sur le terrain. Peut-on dire que vous en prenez actuellement ?
Oui, mais contrairement à ce que pensent certains qui ont mal compris, je ne prends pas du plaisir à regarder ce que je fais. Ça, tu le fais à la fin de ta carrière. Pendant, tu ne t’arrêtes pas au milieu pour te dire : « Oh, j’ai marqué un triplé ce week-end. Oh, j’ai gagné la Coupe du monde… » Tu ne peux pas, car, deux jours après, il y a un match, et tu vas être jugé sur ce match. Mais si vous parlez du plaisir de jouer au football, oui, je prends toujours du plaisir. Même quand je suis en vacances et que je tape le ballon, ou quand je suis ici (à l’entraînement), je prends du plaisir, tous les jours, avec les gars. Le reste, regarder en arrière, ce sera du plaisir après ma carrière. D’ailleurs, je sais que je vais saouler mes petits-enfants avec ça. Je vais leur raconter : «On a fait ci, ça…», eux vont me dire : «Arrête, c’est bon, tu nous l’as déjà dit...»(Il sourit.)
Est-ce vraiment le même plaisir tout au long de la carrière, alors que le contexte et vous-même évoluez ?
Le même ! Même énervement, même plaisir, même façon de parler, je n’ai pas changé depuis le début et je ne changerai jamais. Par contre, oui, tu vois le jeu différemment, tu ne fais plus les mêmes choses qu’avant… Quand même, après vingt ans, si tu ne vois pas le jeu différemment, c’est qu’il y a un problème ! Mais c’est normal. Et à chaque fois, je fais ce que le jeu me demande, à l’âge que j’ai et avec ce que mon corps me permet. J’essaie toujours de faire ce que le jeu me demande. C’est ce que j’ai tenté de faire tout au long de ma carrière.
Sacré parcours quand même…
Oui, mais on verra à la fin, comme on dit bien souvent. En tout cas, le football, c’est ce que j’ai toujours voulu faire et le seul truc que j’ai connu dans ma vie. Ma carrière représente plus de la moitié de ma vie. Et c’est pour cela que, pour moi, respecter le jeu est tellement important… Si un mec est libre, il faut lui donner la balle, le mettre dans les bonnes conditions. (Il répète) Respecter le jeu. Après, bien sûr, il peut aussi y avoir une part d’inspiration, sur le moment.
Quand des rumeurs de retour en Europe entouraient David Beckham, il répondait que c’était flatteur. Pour vous aussi (il a été annoncé comme pouvant intéresser le PSG et Monaco) ?
Je ne réagis pas. Je ne sais pas d’où cela sort, donc je ne peux parler que de choses concrètes.
Vous avez été consultant pour la BBC lors de la dernière Coupe du monde. Avez-vous envisagé une possible reconversion ?
Non. Il fallait se concentrer sur les play-offs. Comme là, il faut se concentrer pour terminer quatrième et avoir le premier match à la maison. Voilà ce que j’ai en tête. Le terrain, c’est ma vie. Après, bien sûr, pour moi, c’était une expérience unique que de pouvoir vivre une Coupe du monde comme cela : c’était la première fois ! D’habitude, je les jouais… (Il est le seul joueur français à en avoir disputé quatre.) Là, j’ai pu la vivre différemment, sentir l’engouement dans la rue, en ville…
Vous suivez aussi beaucoup ce qu’il se passe ailleurs dans le football. Qu’est-ce qui attire votre attention en ce moment ?
Je regarde beaucoup de foot, oui. Voir l’équipe de France comme elle est à l’heure actuelle, voir qu’elle est entre de bonnes mains, ça me fait plaisir. «Dédé» (Didier Deschamps) est un mec qui sait gérer. Et il y a Paul Pogba, extraordinaire, et Blaise Matuidi aussi. Les gens ne parlent pas beaucoup de lui. C’est quand même un très bon joueur. Il a vraiment évolué. Depuis son arrivée au PSG, il a pris de l’ampleur. C’est un cadre de l’équipe de France. C’est bien aussi de revoir Patrice Evra porter le maillot comme il le fait et que les gens commencent à comprendre que c’est quand même un bon joueur, malgré ce qu’ils peuvent penser. Il y a aussi Hugo Lloris, Raphaël Varane… (Il marque une pause admirative) extraordinaire…
On vous sent vraiment touché…
Je suis vraiment content pour le football français, pour l’équipe de France. Puis soyons chauvin aussi ! Parce qu’on aime bien parler des autres joueurs, mais on a des très bons joueurs dans notre pays. On a des très bons jeunes, de très bons anciens-jeunes ou jeunes-anciens. Je ne sais pas comment les appeler, parce que c’est vrai que Karim Benzema, quand même, cela fait un moment qu’il est là, même s’il est encore jeune. Franck Ribéry, même s’il a arrêté. Des Franck Ribéry, des Mathieu Valbuena, qui à chaque fois qu’il porte le maillot bleu joue très, très bien… Tu as des joueurs hors pair et, ouais, ça fait plaisir. (Il prend une courte pause) Soyons derrière eux. Poussons-les à gagner cet Euro 2016 et à redorer le blason de l’équipe de France. Et c’est vrai que voir Karim évoluer au Real, voir Varane aussi avec le Real Madrid, voir Pogba faire ce qu’il fait à la Juve, cela, ça fait chaud au cœur. Pour ne citer qu’eux, mais j’aurais pu citer toute l’équipe, qui a fait un Mondial plus qu’honorable. Je vois le Stade de France, ça me rappelle des souvenirs, ça me rappelle les bonnes années de ce stade. Et puis que l’équipe de France soit sur un bon côté, comme ça, positif, pour préparer l’Euro… Ça ne va pas être facile. Mais on sent que cette équipe peut gagner. Ce serait extraordinaire.
Surtout en France...
Oui, à la maison. Et puis ils ont un mec au pouvoir avec «Dédé» qui sait gérer cela aussi, qui l’a vécu (Ndlr : lors de la Coupe du monde 1998). Il y a aussi des mecs qui sont tauliers dans de grands clubs.
Discutez-vous avec certains ?
Oui, j’ai Pat' (Evra) des fois au téléphone. J’ai Franck (Ribéry). Malheureusement, il a arrêté. On ne parle que de la vie entre nous, ce que l’on a à se raconter sur le moment. Les autres, je ne les connais pas trop non plus. Mais que tu parles avec eux ou pas tu es supporter, avant tout.
Un jour, vous-même ne serez plus joueur. Pensez-vous à cette échéance et à ce que vous allez faire ?
Non. J’aimerais bien que l’on ait 30 points d’avance et que les deux prochains matchs ne comptent pour rien. Que le championnat soit fini et que je me dise : «Qu’est-ce qu’on peut faire ?» Là, non. Je me le dirai quand le championnat sera fini.
Quand, alors, y penserez-vous ? Dès la fin du dernier match de play-offs ?
Ah, là, il y aura encore plus de temps pour y réfléchir… (Grand sourire) Mais mon avenir sera dans le foot, c’est sûr, j’aime trop cela pour ne pas y rester. Et puis, j’en ai entendu d’autres dire qu’ils n’y resteraient pas et qui y sont toujours, alors…
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